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Travail dissimulé
Travail dissimulé : le juge peut saisir tous les gains supplémentaires issus de la dissimulation d’activité
Lorsqu’une société commet une infraction de travail dissimulé par dissimulation d’activité, elle encourt une peine complémentaire dite de confiscation portant sur le produit de l'infraction. Dans un arrêt publié du 16 octobre 2024, la Cour de cassation rappelle que le produit de l’infraction pouvant être saisi recouvre « l'économie réalisée par la fraude », mais elle précise désormais qu’il inclut non seulement les cotisations sociales non versées mais aussi les économies réalisées sur les salaires et les heures supplémentaires.
Peine pénale de confiscation encourue par une entreprise en cas de travail dissimulé
Une entreprise reconnue responsable de travail dissimulé, qu’il s’agisse de travail dissimulé par dissimulation d'activité ou de travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié, encourt des sanctions pénales (c. trav. art. L. 8224-5). Elle peut ainsi se voir infliger une amende pénale d’un montant de 225 000 €, avec des peines complémentaires, comme la fermeture de l’établissement ayant servi à commettre les faits incriminés, l’exclusion des marchés publics ou encore une peine dite de confiscation du produit de l’infraction de travail dissimulé (c. trav. art. L. 8224-5 ; c. pén. art. 131-21 et 131-39).
En 2022, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait considéré que le produit du délit de travail dissimulé pouvant être saisi « correspond à la seule économie réalisée par la fraude », comprenant le montant des cotisations sociales et droits éludés, mais pas le chiffre d'affaires réalisé au moyen de l’activité dissimulée (cass. crim. 5 octobre 2022, n° 21-84766 D).
Dans un arrêt publié rendu le 16 octobre 2024, elle semble faire évoluer sa position en adoptant une conception plus étendue de la notion de « produit de l’infraction » de travail dissimulé.
Une société de transport routier de marchandises, une infraction de dissimulation d’activité et la saisie des comptes bancaires
Dans cette affaire, la DREAL (direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement) a effectué le 12 mars 2020 auprès du procureur de la République un signalement de présomption de travail dissimulé à l'encontre d’une société de droit roumain, dont le gérant exerçait depuis 2013 une activité de transports routiers de marchandises de manière habituelle, stable et continue sans avoir déclaré ni établissement en France ni conducteurs. Ce contentieux visait également des sociétés sœurs exerçant la même activité.
Selon l’enquête préliminaire :
-sur 97 contrôles routiers intervenus entre 2014 et 2020, les semi-remorques de cette société n’avaient effectué aucun transport en Roumanie ;
-l’adresse principale où sont domiciliées la plupart de ces sociétés en Roumanie ne comporte ni parking, ni entrepôt nécessaire à leur activité de transport ;
-ces sociétés gèrent toute leur activité à partir de leurs comptes bancaires français, envoyant régulièrement des fonds sur leur compte roumain pour payer les salaires des chauffeurs-routiers et leurs charges fiscales et sociales.
Le procureur de la République a, en conséquence, autorisé les enquêteurs à saisir sur les comptes de ces sociétés la somme de 976 387 € puis le juge des libertés et de la détention a rendu une ordonnance de saisie pénale de la somme détenue en fonds de garantie.
Les différentes sociétés ont fait appel de cette ordonnance estimant que, lorsque la saisie porte sur le produit de l'infraction de travail dissimulé, seul le montant des cotisations éludées peut être pris en compte.
La chambre de l’instruction de la cour d’appel a confirmé l’ordonnance du juge des libertés en considérant que le produit de l’infraction devait également comprendre le montant des recettes supplémentaires résultant des conditions de travail des salariés roumains concernés.
Les différentes sociétés ont alors saisi la Cour de cassation.
Le produit du travail dissimulé qui peut être saisi comprend aussi le gain salarial obtenu
La chambre criminelle de la Cour de cassation valide la décision de la chambre de l’instruction de la cour d’appel.
Elle approuve la chambre de l’instruction d’avoir considéré que le produit de l'infraction pouvant être saisi en application de la peine de confiscation ne se limite pas au montant des cotisations sociales non payées mais doit également inclure les bénéfices obtenus résultant de l'emploi de salariés au taux du salaire roumain (inférieur au salaire français) et de la durée de travail en Roumanie (supérieure à la durée légale de travail française).
Pour la Cour de cassation, il faut en effet tenir compte de « l'économie réalisée par la fraude » qui s'entend « outre du montant des cotisations sociales ou des droits éludés, du gain obtenu en rémunérant des salariés au taux du salaire roumain, bien inférieur au salaire français, et en les faisant travailler selon la durée de travail en vigueur en Roumanie, supérieure à la durée légale du travail en France ».
La chambre de l’instruction avait donc correctement caractérisé l’avantage économique tiré de l’infraction de travail dissimulé par dissimulation d’activité.
Cass. crim. 16 octobre 2024, n° 23-85360 FB